MARJEANE

ÉCRITURES TEXTILES

Résider sous les grands chênes

Une résidence avec
la sculptrice Valérie Tatin-Sauzet

Une résidence avec la sculptrice Valérie Tatin-Sauzet

Elle arrive avec son grand camion.

Quand elle en ouvre les portes, ça sent la pierre et le bois mêlés.
Tout ce qu’il y a à décharger est lourd, les tables, le compresseur, la sculpture, mémoire massive d’un merisier, mais j’observe déjà ses gestes lestes, alertes, précis.

J’avais vu son bois dans son jardin un jour de pluie.
C’était à la sortie de l’hiver, nous étions loin l’une de l’autre à ce moment-là, chacune un peu sauvage, chacune à border les frontières de son territoire. J’avais juste su imaginer des boules de lianes pour m’ancrer sur un fil de terre entre les pieds du bois. Je n’avais pas retenu que c’était un merisier, j’avais trouvé que son atelier était beau mais il y avait du dur entre nous et je luttais contre mes lignes de front. Il pleuvait.

Elle arrive aujourd’hui, elle a son grand sourire.
Il y a quelque chose de solaire en elle. Son merisier c’est le cerisier des oiseaux, le bois est clair, j’oublie que je voulais échanger avec la pierre. Elle sort ses gouges. J’efface mes lignes de front, je vais vers elle, je vais pouvoir lâcher mes lianes.

Je l’observe tout en lianant.
Nous sommes installées sous l’auvent de la maison, c’est comme si nous étions là depuis toujours. Nous avons trouvé nos marques assez vite. Nous travaillons en silence. L’accordage entre nous a été immédiat. Nous nous parlons dans nos silences. Je l’observe. Mais pas à la dérobée, je prends le temps, je me laisse embarquer par son geste, puissant et délicat. Je cherche ce qui résonne en moi, je mesure toute l’élégance de sa démarche à vouloir, dans la masse imposante, faire émerger des fleurs et des feuilles de toutes les sortes. Elle a un cahier de travail dans lequel elle a collé des photocopies de plantes exotiques, il y a ses croquis coloriés à côté avec le nom des plantes. Quand je tourne les pages, je découvre une partie sur les lianes. Ça me touche.

Le matin, elle affute ses gouges, elle regarde son bois.
C’est un grand calme en elle, une attention particulière à ce bois dont elle va caresser la peau, imaginer les contours. Je vois toujours ma mère « cogner ses bois » comme elle dit, mais c’est une vision furtive, je ne l’ai jamais vraiment regardée travailler dans la durée, une pudeur peut-être entre nous, je songe à ça en scrutant la ligne des gouges, ça me pince le cœur.

Quand elle a terminé, que les outils sont prêts, disposés et en lignes, une énergie s’élève en elle, souplesse du corps, endurance. Je l’imagine dans les hauteurs des cathédrales à sculpter la pierre, à convoquer des visages, des animaux en équilibre sur les échafaudages.

Moi je liane.
Un geste unique, obsédant, je suis assise, je tente de passer un contrat de bonne entente avec mes épaules, mon coude qui se rebelle, mes poignets qui voudraient se barrer loin de mon corps et que je leur foute la paix. Elle, elle tourne autour de son bois, elle alterne les gouges et le rythme, elle est debout, assise, debout, sur un côté, sur un autre, penchée courbée redressée.

Elle danse.