Avec les fils,
j’ouvre un autre champ d’écriture.MARJEANE
Je vis et travaille dans les collines du Nord des Pyrénées Atlantiques. Je tisse, je liane, je croise, je tresse, j’enroule, je mélange, je compose. J’explore l’immense champ des possibles du fil.
J’écris… je dessine une trace, je sculpte un volume dans l’espace. Je plonge dans le langage des couleurs, je vais vers l’étendue sauvage des blancs, je flirte avec l’incandescence colérique du rouge, sa puissance de vie lorsqu’il invite le rose, je voyage sans retour dans les bleus profonds, ceux qui éclatent de lumière, ceux qui invitent à la douceur.
J’écris… ce sont mes mains qui cherchent et engagent mon corps vers les lianes qui naissent, se prolongent, trouvent une voie, se croisent, s’emmêlent, multiplient leurs ramifications.
J’écris… je mélange le doux et le violent, le cri et la caresse, le léger et le sombre.
J’écris… j’explore le monde qui vient sous mes mains, monde organique, fait de tensions et de fusions.
Peu à peu, au fil des lianes qui naissent, je pénètre plus avant dans la forêt qui advient, qui grandit, libre d’être.
Mes lianes sont un refuge autant qu’un risque. Je les travaille debout, à la verticale. J’enroule des écheveaux de fils avec d’autres fils mélangés.
Avec les lianes, je travaille la forme, que ce soit dans le vertige de la verticalité, dans l’intensité de l’organique et de la tension ou bien dans l’approche du mouvement possible. Je travaille aussi les lianes pour qu’elles s’accrochent, qu’elles s’agrippent à d’autres matières, le bois, les vieux cadres que je récupère, le métal… Je démarre avec une couleur dominante et je crée en avançant une palette de couleurs en bobines autour de moi. C’est une étape essentielle, une rencontre préalable et incontournable.
Lorsque je suis sur mon métier à tisser, c’est un autre mouvement qui prend place. Je traverse le temps comme lorsque l’on emprunte un chemin en guettant l’horizon. L’écriture, plus répétitive, du tissage m’invite toujours à une écoute plus profonde de la matière. Je ne cherche pas les formes géométriques ni les figures imposées. Je m’en écarte pour aller vers une trame plus libre, foisonnante et touffue volontairement. Je conçois mes tissages comme une partition aux élans sauvages et qui ne veut pas se laisser enfermer.
Je suis en chemin …
Après un DEA en littératures francophones du Moyen-Orient, j’ai rencontré Andrée Chedid dont l’œuvre m’avait accompagnée puissamment et intimement. Cette rencontre a été un pilier fondateur dans ma vie et je suis partie au Liban et en Syrie. Durant une vingtaine d’années, j’ai exploré avec passion cette région en collaborant avec le photographe Nicolas Camoisson.
Ensemble, nous avons créé de nombreuses expositions photographiques et d’écriture sur le Liban et la Syrie, remporté le concours des interventions artistiques de l’Exposition Internationale de Zaragoza2008 et conçu pour cette dernière, en collaboration avec les maîtres-artisans des norias de Hama une noria de 16m50 dans le « Parque del agua » de ZH20.
Je vivais en Belgique quand la révolution puis la guerre en Syrie est venue tout dévaster et, de 20l1 à 2014, j’ai tenu, au quotidien, un blog, « Le Sang du printemps » pour appeler à un sursaut d’humanité et de solidarité pour mes amis syriens. Mais les mots peuvent peu de choses face au rouleau compresseur de la barbarie.
De retour en France, j’ai cofondé la maison d’édition et d’expositions Ici et Là. Reportages Poétiques avec l’envie d’échanger avec d’autres écrivains, artistes, photographes. Ce fut le cas, notamment, avec le calligraphe Hassan Massoudy, l’écrivain Sophie Poirier, le photographe Marc Montméat…
En 2018, j’ai mis fin à ma collaboration avec Ici et Là, décidé de rouvrir les horizons, vogué, vagué, laissé faire le silence.
J’ai toujours, plus ou moins, joué avec les tissus. Je créais déjà avec des papiers (papier de riz, soie et calque) pour des expositions personnelles. Déjà, dans ces expositions, ces petits travaux, ces tentatives, il y avait la trame de mon geste d’aujourd’hui. Déjà, les mots posés sur les pages de mes livres ou sur les supports singuliers de mes expositions, ces mots-là m’indiquaient cette autre voie d’une écriture textile. J’ai pris mon temps pour lire entre les lignes.
J’ai lancé mes filets pour que les étoiles s’ alignent. J’ai fait une formation en tissage à l’atelier du Haut Anjou et, depuis le départ, je suis soutenue, par Maria Messner, fondatrice et directrice de l’atelier de tissage ACT3. Je recycle ses merveilleux fils dans toutes mes créations, lianes ou tissages. J’effectue aussi des stages en tissage à ACT3 pour continuer d’élargir ma pratique.
Les œuvres des grandes artistes du tissage sont désormais mes livres de chevet, Sheila Hicks, Anni Albers, Olga de Amaral, Aude Franjou, Magdalena Abakanowicz, Victoria Manganiello… M’accompagnent aussi l’ample regard de la créatrice textile Catherine Legrand et l’œuvre si précieuse et essentielle de Fabienne Verdier.
Dans mon atelier, je me nourris de leurs univers et j’explore ma matière, ma voix.
Je suis mon fil.
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